Axes de recherche > 3 - Molécules bioactives et applications

Contact : Anne-Marie Caminade

Dans le monde du vivant, le phosphore est souvent associé aux groupements phosphate et pyrophosphate. Le premier entre dans la composition de l'acide désoxyribonucléique (ADN) et de l’acide ribonucléique (ARN), ainsi que dans des phospholipides, lipides structurants des membranes cellulaires. Le second joue un rôle essentiel en biochimie cellulaire, en particulier, dans la conversion réversible de l'ATP en adénosine diphosphate (ADP) ou en adénosine monophosphate (AMP). Ce processus d’hydrolyse produit une grande quantité d’énergie mise à profit par les cellules pour mener à bien les processus enzymatiques qui seraient, sans cela, impossibles. Les pyrophosphates jouent également un rôle important dans les transformations catalysées par des enzymes qui conduisent à la formation des « métabolites secondaires » essentiels.

Bien qu’ayant un profil pharmacologique intéressant, les dérivés phosphorylés sous forme de monoesters sont rapidement métabolisés/hydrolysés notamment au contact de nombreuses phosphatases présentes dans les fluides biologiques. Par conséquent, ils sont généralement considérés comme de mauvais candidats médicaments. Cependant le développement d’approches prodrogues permet de contourner certaines de ces limitations. On peut citer par exemple, le sofosbuvir, prodrogue d'un nucléoside monophosphate, premier composé permettant la guérison des patients atteints de l’hépatite C.

Le potentiel des phosphonates ou phosphinates comme mimes des phosphates a été identifié depuis de nombreuses années. En effet, ils sont généralement plus stables dans un environnement biologique et la présence d’un atome de carbone à la place d’un atome d’oxygène permet d’accéder à des composés aussi actifs, et possédant une stabilité métabolique accrue. On retrouve ainsi la fonction phosphonate dans de nombreuses molécules bioactives ayant des applications variées. Les phosphonates sont très utilisés comme pesticides (MCP, A) ou fongicides (méthylphosphonate de biphényle, B), herbicides (glyphosate, C) (Figure 1).

 

Figure 1 

Les phosphonates sont aussi largement représentés comme pharmacophores dans diverses classes d'agents thérapeutiques allant des antiviraux aux antibiotiques (Figure 2). Il s'agit notamment de nucléotides antiviraux et anti-tumoraux inhibant la biosynthèse des acides nucléiques, des inhibiteurs de la biosynthèse du cholestérol, ou encore de l’enzyme de conversion de l'angiotensine. On peut citer par exemple Ténofovir D, un nucléoside acyclique phosphonylé. Ce médicament est utilisé pour ses propriétés antivirales car il inhibe la transcriptase inverse dans les rétrovirus. Il est utilisé dans le traitement de maladies virales telles que le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et l'hépatite B. L'Adéfovir E, un inhibiteur nucléotidique de la transcriptase inverse, a montré une activité contre les rétrovirus, y compris le virus de l'herpès, alors que le Cidofovir F a montré une efficacité dans le traitement des virus à ADN tels que HPV2325. Leur utilisation en clinique n’est possible que sous la forme de prodrogue ((Adéfovir dipivoxil et tenofovir disopropyl fumarate)

L’Alafosfaline G, un antibiotique à large spectre d'activité a démontré sa capacité à inhiber la biosynthèse de la paroi cellulaire. Il s'est avéré être potentiellement utile dans le traitement de la gastro-entérite et d’infections bactériennes des voies urinaires. Les α-fluoro-α-alkylphosphonates H sont une classe de phosphonates développés comme mime des phosphates. Ils sont étudiés pour leur capacité à inhiber certaines enzymes utilisant les dérivés phosphorylés comme co-substrats.

 

Figure 2 : Antibiotiques et antiviraux phosphorés

En plus des traitements antibiotiques et antiviraux utilisés en thérapie, les phosphonates ont montré leur potentiel pour le traitement du cancer et des maladies parasitaires. Leur capacité à inhiber la croissance de cellules malignes ainsi qu’à activer les cellules Tγδ est bien documentées. Parmi ces agents thérapeutiques phosphorés, les bisphosphonates (BPs, Figure 3) occupent une place très importante depuis maintenant une vingtaine d’années. Ces molécules, en lien avec leur fort tropisme osseux ont trouvé des applications biologiques très variées allant du traitement des maladies osseuses (en particulier ostéoporose) jusqu’à plus récemment, le traitement des métastases osseuses et viscérales.

Un dendrimère phosphoré (macromolécule hyper-ramifiée) ayant des groupements azabisphosphonates en surface a montré une forte activité anti-inflammatoire, et un effet très positif in vivo sur divers modèles de maladies telles que la polyarthrite rhumatoïde, l’Uveïte, et la Sclérose en plaques. Il serait intéressant de développer la synthèse de nouveaux dendrimères ayant d’autres types de bisphosphonates en surface.

 

Figure 3 : Structures chimiques des BPs de 1ère, 2ème et 3ème générations du BPs. 

Phosphonates et phosphinates (Figure 4) sont également retrouvés dans les structures d’analogues du GABA et du glutamate, les neurotransmetteurs inhibiteurs et excitateurs principaux du système nerveux central (SNC).

 

Figure 4 : Exemples de phosphonates et phosphinates

Tous ces exemples illustrent l’importance des composés phosphorés en médecine. Dans cet axe à l’interface chimie biologie, les développements de la chimie du phosphore peuvent être très nombreux et concerner la découverte, soit de nouvelles molécules organophosphorés pour des applications biomédicales ou phytopharmaceutiques, soit de nouveaux médicaments dont la synthèse sera accessible via la catalyse ou l’organocatalyse. Par exemple, les phosphonates et les phosphinates, seront étudiés comme inhibiteurs de certaines enzymes. Ces composés sont capables d’inhiber les métalloprotéases impliquées dans la pathogenèse du cancer grâce à leur capacité à chélater les cations métalliques. De nouveaux inhibiteurs potentiels seront rationnellement conçus, synthétisés et évalués in vitro sur la base de la structure tridimensionnelle des enzymes impliqués dans la progression et le développement de maladies à fort impact sociétal (cancer, malaria, sida …). Une approche similaire peut être développée pour l’étude de récepteurs du SNC avec la mise au point d’outils pharmacologiques/ thérapeutiques. La synthèse de ligands phosphorés pour des applications en imagerie ou pour la vectorisation sera également envisagée.

La chimie des organophosphorés permet aussi la conception d’amphiphiles qui peuvent être utilisés pour véhiculer des principes actifs ou des acides nucléiques. Des applications en transfection et thérapie génique ouvrent de multiples applications dans le domaine médical.

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